Ce mois-ci c’est chez flyingbum que ça se passe. Le sujet :
le pique-nique. Mais pas de pique-nique sans les enquiquineuses comme les fourmis et autres insectes piqueurs ou suceurs. Devrons s’inviter les mots flavescent, amphigourique, sycophante et nidoreux. Sans toutefois gâcher le pique-nique quand même, en ajoutant un régionalisme ou deux.
Le temps s’était mis au beau depuis quelques jours, et Marius, César, Batistin et les autres, vieille bande de copains, s’étaient donné rendez-vous pour un pique-nique joyeux aux Goudes*.
Ils avaient invité Zize, Nine, Magali et Fanny à les rejoindre.
Marius aimait bien Nine, qui préférait César; mais César reluquait Zize. Il ignorait que Zize avait jeté son dévolu sur Batistin qui, quant à lui s’intéressait à Magali.
Magali, qui espérait que Marius la remarquerait, avait soigné sa mise : jupe moulante de cagole*, chignon flavescent et talons compensés qu’elle maudissait secrètement tant ils étaient anachroniques et malcommodes dans le paysage !
Fanny, enfin, espérait que l’un des « estrangers » de Toulon qui avaient rejoint le groupe l’agraderait*. Et pourquoi pas cet Emile, poète amphigourique à la voix chaude et à l’accent chantant, qui déclamait à longueur de temps des poèmes auxquels elle ne comprenait strictement rien, peuchère*. Mais Emile, c’était une pointure !
La journée s’annonçait donc compliquée sous ses allures champêtres.
Une fois les nappes étalées sur les grands rochers plats de la Baie des Singes*, face à l’île Maïre*, à proximité des voitures pour s’éviter la fatigue, chacun étala ce qu’il avait apporté. Il y avait de quoi nourrir un régiment : tapenade, poutargue, aïoli en barquette, salade de poulpe, fèves fraîches, olives, panisses, fougasses, navettes, et, trônant au milieu de tout, l’incontournable Pastaga*.
On eut un peu de mal à s’installer, les uns cherchant la proximité d’autres qui ne la cherchaient pas…. une sorte de ballet savamment désorchestré auquel les gabians n’étaient pas insensibles puisqu’ils en profitèrent pour chaparder quelques chips en parsemant les nappes de fientes qui, sans être nidoreuses, n’en étaient pas moins répugnantes.
On sauva le pique-nique à la va vite et, du coup, on s’assit là où il y avait des places propres, sans se préoccuper davantage des préférences.
Le repas fut joyeux. Au troisième 51* bien tassé, Emile ne balbutiait plus qu’une suite de mots vaseux. Il partit faire un pénéquet* dans un rocher creux, et deux favouilles* sautèrent sur l’occasion, si l’on peut dire, pour explorer les orteils qui dépassaient de ses tongs quelque peu fatiguées. On l’oublia, et Fanny, machinalement, se remit en quête de l’âme sœur, ajoutant à ses critères l’haleine du futur élu, éliminant de ce fait tous ceux qui avaient goûté l’aïoli.
Ce qui jusque là avait été une bonne partie de franche rigolade partit pourtant rapidement en jus de boudin.
On ne saura jamais qui lança « le jeu de la vérité », toujours est-il qu’à la question « quel est ton idéal féminin ? » Marius répondit : Nine. Magali éclata en sanglots, au grand désespoir de Batistin qui, pour garder le moral, saisit une belle tranche de melon (de Cavaillon, bien sûr); ledit melon était cafi* de petites bestioles gourmandes et peu appétissantes qui courent dans les rochers du coin. Dégoûté, il lâcha le morceau et s’éloigna pour ruminer en se promettant de ne pas renouveler l’expérience.
Entre temps, le mistral s’était levé, doucement au début, mais rapidement insupportable. Quand ça souffle, à la Baie des Singe, ça n’est pas qu’un peu ! tu te croirais prêt à t’envoler !
Il leur fallut envisager un repli stratégique, dans une ambiance devenue morose. On récupéra en urgence Emile dont le nez avait pris la couleur du phare de Planier*.
Les filles se dirigèrent en bande vers les voitures et se mirent à pousser des gloussements de galines* apeurées : un des pneus de la 4CV de Marius était dégonflé ! comment cela était-il possible ?
« Moi, je n’accuse personne », avança César qui se sentait sycophante en diable, « mais c’est Batistin qui est venu traîner par là »……………
Le lendemain, à la Une de « La Provence » * un titre pagnolesque* : « Nouvelle engatse* aux Goudes », suivi d’un article de quelques lignes :
« Grosse filade* hier à la Baie des Singes ! Plus de peur que de mal. Les dix personnes interpelées sont sorties ce matin de leurs cellules de dégrisement. Seul l’un d’entre eux, victime d’une insolation, reste sous surveillance car il s’exprime encore de façon incohérente. Ses jours ne sont pas en danger. »
Gibulène – 8/6/2022
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LEXIQUE :
Les Goudes : quartier et un des ports de Marseille , à la porte sud de la ville et du parc National des Calanques.
Cagole : Fille au comportement plutôt vulgaire, souvent vêtue ou maquillée de manière outrancière, et attirée par les vêtements aux couleurs
criardes
Agrader : Plaire
Peuchère : Exprime la compassion (équivalent : « le ou la pauvre! »)
La Baie des Singes : Si cet endroit paradisiaque est nommé « Baie des singes », c’est parce qu’il a été un lieu de contrebande où l’on demandait aux
enfants d’être « muets comme des singes ». Cette petite plage bordée de cabanons est surnommée la « plage du bout du monde »
par les marseillais. Elle est à Cap Croisette après Les Goudes.
Maïre : Ile qui fait face à la Baie des Singes.
Panisses : spécialité de la cuisine provençale à base de farine de pois chiches que l’on mange en tranches frites.
Pastaga : Pastis
51 : L’une des marques de Pastis prisées par les marseillais et qui remplace souvent le nom original
Pénéquet : Sieste
Favouille : Petit crabe gris de Méditerranée.
Cafi : Rempli, gorgé de…..
Phare du Planier : Phare au nez rouge (évidemment) sur l’Ile du Planier au large de Marseille.
Galine : Poule
Pagnolesque : Tout droit sorti d’une réplique de M. Pagnol
Engatse : Embrouille
Filade : Bagarre